Journée d'étude liée à l'agrégation : la Généalogie de la morale de Nietzsche
Le 21 février 2020
Argumentaire : La Généalogie de la morale n’est certes pas un livre dont l’importance philosophique aurait été sous-estimée : au contraire, certains spécialistes de Nietzsche considéreraient presque l’attention consacrée à cette œuvre comme excessive. Dans l’entrée « Généalogie de la morale » du Dictionnaire Nietzsche (2017), Éric Blondel note par exemple que la Généalogie, « sans doute [l’ouvrage] le plus célèbre de son auteur », est souvent celui auquel on réduit indûment Nietzsche ; Simon May parle également de la « plethora of writings devoted to Nietzsche’s On the Genealogy of Morality » dans le Critical Guide qu’il a dirigé sur le sujet en 2011 ; et dès 1994, Keith Ansell-Pearson observait dans son introduction à la traduction Cambridge que la Généalogie « has come to be prized by commentators as [Nietzsche’s] most important and systematic work ». Ce phénomène de captation de l’intérêt et des publications pourrait dissuader de privilégier une nouvelle fois la Généalogie de la morale en tant que thème d’une journée d’études. A-t-on trop accordé à un texte que Nietzsche, avec une modestie dont il n’avait pourtant pas coutume, avait plutôt décrit comme « un petit pamphlet » (lettre à Heinrich Köselitz du 18 juillet 1887) ou comme un simple « complément » à Par-delà bien et mal (sous‑titre de la Généalogie) ?
Nous faisons ici l’hypothèse que l’intérêt toujours renaissant pour la Généalogie est bien plutôt légitime, et qu’il peut notamment s’expliquer par le statut particulier qu’elle possède dans le corpus nietzschéen : celui d’un projet de recherches collectif, auquel Nietzsche prétend certes contribuer, mais contribuer seulement, d’une part en versant un certain nombre d’éléments au dossier (d’où le fameux « Zur » du titre complet, Zur Genealogie der Moral), d’autre part en imprimant une direction axiologique et méthodologique initiale aux investigations (« l’histoire de la morale réelle », selon le § 7 de la préface). Dans ce contexte, le discours programmatique de Nietzsche ne semble toutefois pas feint : c’est lui‑même qui nous dit avoir besoin de « compagnons savants, audacieux et à qui le travail ne fasse pas peur » pour « parcourir le formidable pays de la morale, lointain et si caché » (Préface, § 7) ; ou qui demande également aux facultés de philosophie de « promouvoir les études relatives à l’histoire de la morale au moyen d’une série de mémoires académiques primés » (I, § 17). Il s’agirait par conséquent de prendre au sérieux cette dimension remarquable mais rarement étudiée en tant que telle de la Généalogie de la morale.
Dans cette perspective, on pourra notamment distinguer deux grands axes de questionnement : les recherches faites et les recherches à faire. Premièrement, quelle est la contribution que Nietzsche pense apporter à l’« histoire de la morale réelle » en 1887 ? Par sa formation philologique, sa culture historique ou ses lectures anthropologiques, qu’a-t‑il par exemple à dire sur les morales grecque(s), romaine(s), juive(s), chrétienne(s) ou indienne(s) ? D’où tire-t-il plus précisément ses informations et selon quelles méthodologies spécifiques travaille-t-il ? Deuxièmement, quelles sont les pistes de recherche future que Nietzsche identifie au sein de la Généalogie, par exemple quand il présente un domaine d’études comme insuffisamment développé ou quand il décrit son propre discours comme hypothétique et provisoire ? Et corrélativement, comment l’ouvrage de 1887 procède‑t-il pour inciter son lecteur à reprendre le flambeau de l’enquête ? Des réponses à toutes ces questions et à d’autres encore pourront être esquissées à l’occasion de la journée, sans aucune prétention à l’exhaustivité.